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L'homme qui n'aimait personne
Benoît
Tany appuya sur le bouton de la sonnette. Celle-ci était surmontée d’une plaque
sur laquelle on pouvait lire « Docteur Yasuo Psychothérapeute ». Il y
eu un temps durant lequel aucun bruit ne sortit de l’interphone, puis un
grésillement et enfin la porte de l’immeuble s’ouvrit. Tany entra et se dirigea
droit vers l’ascenseur, sans prêter attention à la décoration soignée du hall
d’entrée. Il jeta un œil rapide sur les boîtes aux lettres afin de connaître
l’étage du docteur Yasuo et rentra dans l’ascenseur. La porte du cabinet était
entrouverte et il entra silencieusement. La secrétaire du docteur Yasuo prit
son nom, puis lui indiqua la salle d’attente avec un sourire radieux qu’elle
avait probablement dû travaillé des heures dans sa salle de bain. Un dizaine de
minutes plus tard, le docteur Yasuo entra dans la salle d’attente et invita Mr
Tany à le rejoindre dans son bureau. Le docteur, âgé d’une quarantaine d’années
boitait légèrement mais semblait encore alerte. Il s’assit derrière son bureau
en même temps que son client et lui posa sa question rituelle.
« Alors
Mr Tany, est-ce la première fois que vous consultez un psychothérapeute ?
-Tout
à fait, répondit celui-ci, je n’ai jamais eu recours à un de vos confrère.
-Et
pourquoi avez-vous ressenti le besoin de me consulter ?
-Parce
que je crois que j’ai besoin… d’aide.
-Et
bien je vais essayer de vous l’apporter si toutefois cela relève de mes
compétences. Quel est votre problème ?
-Mon
problème est assez simple docteur : je n’aime personne.
-Comment
ça vous n’aimez personne ? Vous ne supportez pas les gens ? Même
votre famille ?
-Oh
non, rien à voir ! J’aime les gens, je vous parlais du domaine amoureux
docteur. Je n’arriverais jamais à trouver l’âme sœur.
-Savez-vous
que vous n’êtes pas le premier à me dire cela ? Des tas de gens sont
persuadés qu’il ne trouveront jamais chaussure à leur pieds, et pourtant cela
arrive un jour ou l’autre.
-Je
m’en doute docteur, mais chez moi c’est différent.
-Allons
bon ! C’est à cause de votre physique ? Vous n’aimez pas votre
visage, votre corps ? Vous n’êtes pourtant pas quelqu’un de spécialement
repoussant, au contraire, vous êtes plutôt bel homme.
-Oui,
cela je le sais mais mon problème n’est pas mon physique.
-Vous
manquez de confiance en vous alors ? Vous pensez que vous n’avez aucun
charme, et que votre vie n’a rien d’intéressant ?
-Je
n’ai pas non plus de problème de confiance en moi docteur. Et par ailleurs, je
trouve ma vie intéressante. Disons plutôt qu’elle n’est pas plus ennuyeuse que
celle de n’importe qui.
-Vous
êtes trop timide alors ?
-Oh
non ! J’adores rencontrer de nouveaux gens, et je suis quelqu’un de plutôt
bavard d’après mes amis.
-Mais
alors je ne comprends pas. Vous avez un beau physique, vous avez confiance en
vous, vous avez des amis… Quel est votre problème ?
-Et
bien docteur je ne suis attiré par personne.
-Comment
ça vous n’êtes attiré par personne ?
-Par
exemple, prenons Eva Gelita, élue plus belle femme du monde par de nombreux
magazines. Aucune attirance pour cette femme.
-Vous
savez, les goûts et les couleurs, ça ne se discute pas. Vous n’êtes sans doute
pas le seul homme à la trouver fade.
-Mais
je ne la trouve absolument pas fade docteur ! Au contraire, je suis même
de l’avis de tous ces magazines. Eva Gelita est une des plus belles femmes que
j’ai jamais vu ! Mais elle ne m’attire pas.
-Au
niveau sexuel vous voulez dire ?
-Oui
par exemple.
-Et…
vous n’avez jamais éprouvé une certaine attirance pour… les hommes ?
-Non
docteur. Croyez-moi, j’aurais pourtant préféré être homosexuel plutôt que rien
du tout.
-Mais
alors vous voulez dire que vous n’avez jamais éprouvé une quelconque attirance
pour qui que ce soit, homme ou femme ?
-Non
docteur, jamais.
-Et
bien, voilà qui est original ! Je ne comprends pas, vous n’êtes donc
jamais tombé amoureux ?
-Non
docteur, jamais.
-Mais
vous n’avez donc jamais de sentiments ?
-Oh
si docteur, je connais la joie, la colère, la tristesse…
-Mais
vous n’éprouvez rien pour les femmes ou les hommes ?
-Bien
sûr que si ! J’aimes énormément mes amis, je sait ce qu’est l’amitié. Mais
je n’ai jamais connu l’amour.
-Même
lorsque vous étiez petit ?
-Même
lorsque j’étais petit.
-Mais
qu’est ce qui vous bloque ? Vous avez peur de vous engager ?
-Non,
absolument pas ! Au contraire même, je ne rêve que de tomber amoureux, de
fonder une famille !
-Vous
avez peut-être des critères de sélection un peu trop élevé dans ce cas là.
-Ca
ne vient pas de là non plus docteur, je vous l’ai dit, même les femmes les plus
belles ne m’attirent pas. Evidemment, je les trouve magnifique, mais cela
s’arrête là.
-Vous
voulez dire que vous les trouvez belles comme… un peinture ?
-Exactement !
Comme une belle sculpture, ou une belle photographie. Mais n’allez pas croire
que je considère les femmes comme des objets. C’est uniquement leur beauté que
je compare à des objets. Et c’est d’ailleurs la même chose pour les hommes. De
la beauté, mais jamais d’attirance.
-Vous
voulez dire que vous ne ressentez pas d’attirance sexuelle ?
-C’est
cela, entre autres.
-Mais
même à l’adolescence, vous n’avez jamais été attiré par qui que ce soit ?
-Personne.
-Et
vous n’avez jamais fait… de rêves érotiques ?
-Si
bien sûr !
-Aha !
Vous avez donc bien une attirance sexuelle pour… C’était des hommes ou des
femmes dans votre rêve ?
-C’est
bien là le problème docteur. Je n’en sais rien. Lorsque je me réveille, je vois
bien les traces de ces rêves érotique, mais impossible de me souvenir de qui je
rêvais. C’est comme si je ne rêvais en fait… de rien.
-Hmm…
Etes-vous bien sûr de tout me dire Mr Tany ?
-Evidemment
docteur ! Pourquoi, y’a-t-il encore quelque chose que vous voulez me demander ?
-Avez-vous
jamais été attiré par des.. animaux ?
-Zoophile
vous voulez dire ? Mon Dieu non ! Enfin je vous ai dit que je
n’aimais personne, pas que je fantasmais sur des chiens, des chats ou je ne
sais quoi !
-Nécrophile ?
-Docteur
vous me dégoûtez !
-Je
vous prie de m’excuser Mr Tany, mais il faut bien que j’explore toutes les
possibilités.
-Et
bien je vous assure que je vous ai tout dit, je ne suis ni fétichiste, ni sado
masochiste, et avant que vous posiez la question si jamais elle vous passait
par la tête, je ne suis pas non plus attiré par des enfants.
-Bon
et bien si ce n’est qu’une affaire de sexe… Vous savez, beaucoup de couples
vivent sans sexe.
-Mais
ce n’est pas qu’un problème de sexe docteur !
-Mais
si, vous n’avez qu’à vous mettre avec une jeune femme que vous trouvez belle et
sympathique, et vous verrez, le sexe suivra.
-Vous
voulez donc que je trouve une femme que j’apprécie, avec qui je peux parler,
qui me comprends, avec laquelle j’ai énormément de points en commun ainsi que
de la complicité ?
-Parfaitement !
-Mais
sans attirance, c’est impossible docteur ! Vous avez sûrement un ami
d’enfance docteur ?
-Oui
mais je ne vois pas vraiment le rapport…
-Avec
cet ami, vous êtes complices, vous vous appréciez, il vous comprends, vous avez
de bons souvenirs ensemble, il sera toujours prêt à vous aider, vous rigolez
ensemble…
-Oui…
-Et
pour autant, vous ne sortez pas avec cet homme, ce n’est pas votre compagnon.
Pourquoi ?
-Et
bien parce qu’il ne m’attire pas…
-C’est
la même chose pour moi. J’ai quantité d’amis très proche et avec qui je
m’entends parfaitement, mais je ne suis attiré par aucun d’eux…
-Je
comprends… Mais là voyez-vous j’ai peur de ne pas pouvoir vous aider…
-Finalement,
je le savais… Personne ne peut m’aider.
-C’est
tout de même incroyable ! Mais alors, si vous savez que vous ne trouverez
jamais l’amour, qu’est-ce qui vous pousse à vivre ?
-Tout
le reste docteur ! L’amitié, pouvoir aider les autres, assister à un
coucher de soleil sur la plage, voir le jour suivant se lever…
-Et
bien, il me semble que vous aimez plus la vie que les autres…
-Pourquoi
ça docteur ?
-Parce
que voyez-vous, la plupart des gens amoureux ne vivent plus que pour leur
moitié. Ils se ferment aux autres joies simples du monde et lorsque que l’autre
meurt, il ne savent plus profiter de ces joies. Vous au contraire, comme vous
ne connaissez pas l’amour, vous restez ouvert à tous ces autres plaisirs. C’est
magnifique.
-Vous
avez raison docteur… Finalement il ne vaut peut-être mieux pas que je découvre
l’amour. Peut-être que profiter des bonheurs simples de la vie est plus
enrichissant que l’amour après tout.
-Cela,
personne ne peut le dire.
-Merci
docteur.
-Pourquoi
me remerciez-vous ? Je n’ai rien pu faire pour vous.
-Oui,
mais vous ne m’avez pas jugé négativement, vous ne m’avez pas traité de sans
cœur. Et vous m’avez fait prendre conscience de ma chance… »
Tany
ressorti du cabinet du docteur Yasuo plus heureux que jamais. Il respira l’air
frais du printemps et traversa la rue sans regarder avant, insouciant qu’il
était. Et Marco Blondi qui roulait trop vite dans sa voiture ne le vit pas. Il
faut dire que sa femme venait de le quitter, et qu’il ne voyait pas ce qu’il
pouvait encore retirer de la vie. Alors être pris pour excès de vitesse ou pas,
il s’en fichait.
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